Les Galas
Depuis l’arrivée de sa directrice Caroline Guiela Nguyen, le TnS veut réinventer, avec les habitant·es et les artistes, un modèle de théâtre public qui partage de manière réelle, non seulement ses moyens de production et ses espaces, mais aussi l’acte de création lui-même.
Le théâtre peut alors devenir ce que nous en faisons ensemble, autrement dit : une ressource ouverte, appuyée sur un faisceau de droits, incluant celui à la création, dont les publics ont été trop longtemps exclus.
© Jean-Louis Fernandez
Parvenir à ancrer la création artistique au théâtre dans l’élaboration commune d’une ressource, c’est permettre enfin qu’un geste esthétique construit à plusieurs, dans une hétérogénéité assumée qui s’écarte de l’écrasant pouvoir de la culture légitime, puisse révéler toute la puissance et la beauté des acteurices ordinaires, à travers la présence d’une action dont ils et elles sont les sujets — plutôt que dans le caractère temporaire et utilitaire d’une représentation dont ils ne seraient que les objets.
Les Galas sont la forme privilégiée que prend ce geste au TnS : c’est la fête qui infuse la création d’une ressource théâtrale commune, rendant concrète la promesse d’émancipation si souvent proposée — mais si rarement tenue — aux publics.
Ces dix jours de fête permettent ainsi de nous retrouver pour réimaginer des formes de création collective donnant corps à un droit à la création élargi, qui ne serait plus réservé à quelques un·es.
La réappropriation, esthétique et politique, de ce droit à créer résonne avec la théorie des communs. Cette théorie prend appui sur une reconnaissance préalable de l'autonomie des personnes concernées. C'est donc une approche de capacitation [empowerment] notamment développée
par la lauréate du prix Nobel d’économie Elinor Ostrom pour désigner, en particulier, les formes d’usage et de gestion collective d’une ressource par une communauté.
Si les biens communs peuvent inclure des éléments tels que l’eau, l’air, les forêts, les océans, les logiciels open source, les connaissances partagées… pourquoi, après tout, donner un statut d’exception à la création artistique au théâtre ?
Rendre effectif l’accès à l’institution publique suppose de garantir pour toutes et tous un droit nouveau : celui de participer concrètement à la création, sans que la langue que l'on parle, le quartier d’où l’on vient, les goûts qui sont les nôtres, nos modes d’expressions et d’effusions minoritaires, la singularité et la complexité de nos histoires enchevêtrées, ne soient des freins.
Ainsi, nous formons le socle d’une culture qui ne gagne sa légitimité que parce qu’elle est partagée, joyeuse et inclusive. La forme renouvelée de cette légitimité, que Caroline Guiela Nguyen qualifie comme « une égalité
d’estime », le TnS fait le pari qu’elle ne peut pas se construire sans les habitants et les habitantes.
En ce sens, les Galas constituent un espace privilégié pour le modèle esthétique et politique que nous cherchons à inventer. Comme le disait Jean Haas, un acteur non professionnel dans la pièce de Claire Lasne Darcueil, Je suis venu te chercher, créer, c’est « participer à une fête à laquelle tout le monde est convié ». Face aux esprits chagrins qui nous divisent, nous voulons donc étendre ledomaine de la fête, repousser les limites du cadre de la création pour que cette dernière devienne ce qu’elle n’aurait dû jamais cesser d’être dans une institution publique conforme à son concept : un bien commun.
Najate Zouggari, TnS
