Le miracle de la rencontre

Dans cet entretien, Caroline Guiela Nguyen déploie la genèse de son conte à hauteur d’enfant, elle raconte notamment comment elle a travaillé avec les interprètes de langue roumaine et évoque la violence institutionnelle d’un milieu médical transfiguré par la puissance salvatrice, et souvent facétieuse, de la fabulation.

Peux-tu nous raconter comment tu as rencontré Caroline Guiela Nguyen et son équipe ?

C’était une incroyable rencontre qui a eu lieu… à l'église. Il faut savoir que moi, j’ai mes habitudes dans cette église orthodoxe située à Strasbourg, j’y vais toutes les semaines. Une fois, quand l’office est fini, je vois Caroline [Guiela Nguyen] et son assistante Flora [Nestour, chargée des relations avec les publics] qui commencent à dispatcher des flyers et à expliquer le projet. On me dit « voilà, il y a une découverte au théâtre, c'est pour un spectacle où il y aura des enfants, des dames et pour des personnes âgées. Si ça vous intéresse, venez… » Et j’ai pensé « ah oui, je serais bien intéressée pour ma fille ».

Donc, au départ, tu as estimé que ce n'était pas pour toi ?

Mais oui ! (Elle rit.) Jamais je n’aurais imaginé que ça pouvait être pour moi, mais alors vraiment pas du tout ! En revanche, j’ai pensé à ma fille et je me suis dit qu’elle allait vraiment être contente parce qu'elle a fait du théâtre une ou deux fois à l'école, et elle a bien aimé. Et là, Flora me dit que je peux aussi venir avec ma fille.

Après, pour moi, ce n’est pas évident ; je n'ai rien à faire, moi, dans un théâtre… Je ne m’y voyais pas du tout. Je suis une personne réservée, je n'ai pas l'habitude de monter sur scène ou d’être en représentation devant les gens. Mais, au bout d’un moment, je me suis dit « pourquoi pas, ça sera une belle découverte ». J’ai quand même eu besoin de temps pour réfléchir, j’ai pris le flyer chez moi et j’ai parlé à ma fille.

Et là, elle avait presque les larmes aux yeux. Elle me dit « Maman, s'il te plaît, il faut que tu viennes avec moi ! Allez, ça sera la première fois qu’on fait une chose comme ça ensemble et ça va être vraiment chouette ! » Quand j'ai vu ma fille insister avec autant d'enthousiasme, j’ai accepté. Mais je lui ai dit que je n’essayais pas plus d’une semaine. J’ai uniquement accepté parce que ça lui tenait tellement à cœur.

dans Valentina de Caroline Guiela Nguyen plan rapproché une femme et une enfant en costumes brillants et colorés Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez
 

Est-ce que tu pourrais nous raconter l’histoire de Valentina ?

Alors, d’abord, il faut dire que c’est une histoire très émouvante. Il y aussi de la force et de l’espoir. Et cela vient du rapport de la petite fille avec sa maman. La mère a un problème de cœur, mais elle veut vivre. Comme elle ne parle pas le français, c’est la petite fille qui doit tout porter. L’enfant est prise au milieu de l’école, de l’hôpital, … Et la mère, elle s’accroche à la vie parce que quand tu as un enfant, tu as envie de vivre. Il faut que ça aille bien. Mine de rien, Valentina ça raconte la vérité. Parce que dans la vie de tous les jours, il y a pas mal de gens qui sont passés par là. Je ne veux pas raconter ma vie en détails, mais moi c’est ce que j’ai vécu, des problèmes de santé, pas aussi graves que le personnage. Mais je sais ce que ça signifie de ne pas pouvoir comprendre ce que dit le médecin, de ne pas être écoutée. Je suis Roumaine aussi, comme le personnage et, quand je suis arrivée en France, je ne parlais presque pas le français, donc j’étais obligée de me débrouiller. Le corps médical n’a pas toujours le temps, les moyens… C’est dur quand tu es malade. Heureusement qu'il y a aussi de très belles personnes, de très bons médecins, qui prennent le temps d'écouter, de voir, de trouver des solutions. Mais, ce n’est pas toujours le cas, même pour les gens qui parlent le français. C’est pour ça que la pièce me touche et va toucher beaucoup de personnes.

Et ta fille, comment s'est-elle appropriée le projet, après l’enthousiasme du début ?

Pour elle, c'était super, comme tout enfant, elle était hyper excitée, très contente. Et surtout, quand tu joues avec ta maman, qu'est-ce que tu peux demander de mieux ?

Je l'avais inscrite à la gymnastique auparavant. C’était un projet qui lui tenait vraiment à cœur, un petit rêve, entre guillemets. Mais la joie, quand on a découvert qu’on nous avait choisies ! Nous, au début, on prenait tout ça comme un jeu, pas vraiment comme un casting. On était là pour le plaisir et c’était bien comme ça. Il n’y avait pas de pression. Je n’oublierais jamais le moment où on a reçu la nouvelle : on était au zoo, en Allemagne, avec le papa de ma fille, on avait fait cette petite sortie. Quand j’ai entendu les mots au téléphone, j’ai eu les larmes aux yeux. Quand quelque chose comme ça arrive, il faut savoir saisir sa chance. C’est une fois dans la vie, et ma fille est jeune, peut-être que ça va lui ouvrir des portes pour son avenir professionnel.

Après, moi je ne suis pas comédienne de base. Je suis juste une simple personne. Donc c’est un saut vers l’inconnu, ça m’a demandé de l’organisation car j’ai aussi un petit garçon de dix-huit mois : la crèche, la cantine, la phase d’adaptation …

Mais, l’opportunité du théâtre est arrivée au bon moment. J’étais en train de me dire que c’était maintenant que je pouvais reprendre le travail, trouver une activité, qu’il était temps de faire quelque chose de professionnel, parce que mon fils grandit.

Et là, l’opportunité tombe dans l’église ! Je suis très croyante et je ne peux pas le cacher parce que c'est là que la rencontre s'est faite. Je vois des signes de Dieu partout. La rencontre que j’ai eue avec l’équipe, c’est aussi un miracle.

Tu as évoqué des échos entre la pièce et ta propre expérience de vie. Comment est-ce que tu perçois, plus particulièrement, le personnage de la mère que tu interprètes dans Valentina ?

Pour moi, c’est un personnage qui est super fort parce qu'elle n'a pas le choix en même temps. Pour sa fille, elle doit être le personnage le plus fort du monde entier. Mais, malgré cette force, quand elle est seule, avec toutes ses émotions et ce qui lui arrive, elle lâche prise et on sent une grande fragilité au fond d’elle. Je pense qu’elle a ce côté-là, même si elle ne veut pas forcément le montrer. Elle est obligée d’avancer pour sa fille, pour ses enfants, pour son mari.

À un moment, pendant les improvisations, les larmes me sont montées aux yeux, c’était dans un échange très violent avec le corps médical, le médecin nous jetait les papiers dessus. Et là, les larmes sont venues toutes seules. C’était le personnage, mais c’était un peu Loredana aussi. À un moment, tu ne contrôles plus, les choses se font avec tout ton être et toute ton âme.

 

Propos recueillis le 14 janvier 2025 au TnS par Najate Zouggari