À la rencontre du Centre des Récits

Recueillir, collecter, accueillir
Le Centre des Récits accompagne les artistes dans leurs créations avec pour objectif l’exploration de nouveaux chemins d’écoute et le déploiement d’une expertise du réel, fondée sur les récits confiés par les habitantes et les habitants.

Ce qui s’impose, d’abord, quand on va à la rencontre de celles qui le font vivre, c’est le caractère inédit du Centre des Récits, cet espace de collecte et d’archivage de mémoires vivantes, ancré sur le territoire et offrant un terrain d’expérimentation pour les artistes.

Partir de la matière du réel


Impulsé par la vision et le projet de Caroline Guiela Nguyen pour le TnS, le Centre des Récits a été créé à son arrivée, en septembre 2023. Pour étayer sa nécessité, Fanny Mentré prend l’exemple des créations de Caroline : « sur des spectacles comme SAIGON, FRATERNITÉ, Conte fantastique ou LACRIMA, elle part d'une intuition forte, d'une idée, et elle nourrit son écriture par un long travail d’immersion sur le terrain et de nombreuses rencontres. 

Par exemple, pour LACRIMA, le point de départ était la fabrication d’une robe exceptionnelle ; elle s’est plongée dans l’univers d’un atelier de haute couture — quels sont les métiers, les rapports de hiérarchie, les temporalités ? Ses recherches l’ont menée à s’intéresser au savoir-faire et aux conditions de travail des brodeurs de Mumbai, des dentellières d’Alençon… Cette pulsation du réel, on la perçoit dans ses œuvres, elle insuffle une dimension d’authenticité. »


Béatrice Dedieu précise : « On collecte la matière documentaire de manière inductive, des récits dont l’épaisseur s’enrichit au fil de l’échange. La démarche est claire : ce matériau devient constitutif de l’écriture. Mais, les artistes que nous accompagnons ne cherchent pas à restituer les témoignages que nous avons collectés. Au contraire, ils s’en inspirent pour nourrir la narration d’une fiction. C’est pourquoi le Centre est intégré au département du développement des créations. »


En somme, la démarche du Centre des Récits ne produit pas des éléments pour un théâtre documentaire, ni pour une sociologie qualitative : l’enjeu est bien, cette fois -ci, en ce lieu, de fabriquer de la fiction en partant de la matière que fournit le réel. 

Le fait d’assumer le caractère artisanal et non systématique des entretiens — qui ne sont pas soumis aux rigueurs scientifiques d’une grille homogène — induit une transformation profonde du rapport que nous avons à la connaissance du monde social : l’expertise du réel appartient à celles et ceux qui ont accepté de confier leurs mémoires vives, de les mettre en partage dans cet espace singulier, qui n’est pas le cabinet d’un psychologue, ni le bureau d’un statisticien et encore moins celui d’un juge.

Micro-trottoir par le Centre des récits © Jean-Louis Fernandez

De la collecte à la collection de récits

Pour Je suis venu te chercher, création de Claire Lasne Darcueil, elles ont collecté des récits de vie des habitant·es, de 60 à 93 ans ! Ensuite, c’est toujours un dialogue au long cours avec les metteuses et metteurs en scène pour enrichir ce dense matériau documentaire. Le Centre des Récits travaille en étroite collaboration avec l'équipe des relations avec les publics du TnS. 

Fanny explique : « À chaque fois que nous sommes sollicitées, nous affinons notre méthodologie, notre façon de faire et de collaborer […] il faut que l’on comprenne assez vite les enjeux artistiques et de dramaturgie pour proposer davantage d’épaisseur documentaire. » 

Le Centre des Récits propose, en somme, un espace d’exploration toujours ouvert.

 

Collecte de récits © Jean-Louis Fernandez

Nécessité de la lenteur

En fournissant ainsi une matière brute extraite du monde social pour documenter la recherche des artistes, le Centre des Récits accompagne l'écriture mais nous oblige aussi à regarder le monde social d’une autre façon, sans les filtres du discours du médiatique et de l’analyse savante. Établir un rapport de confiance avec les personnes qui déploient une parole, dont le Centre des Récits sera le dépositaire, exige de prendre du temps. 

Pour Béatrice, « le travail d'approche est un travail d’enquête extrêmement lent, car il est important d’étudier le terrain avec acuité et précision, mais aussi de laisser part à une grande sensibilité. Pour autant, rencontrer c’est aussi se laisser immerger, voire parfois, se faire bousculer et déplacer, ce qui est absolument passionnant ».

Ainsi, la lenteur ne s’explique pas seulement par la nécessité d’approfondissement requise par la recherche. Les récits de vie sont anonymisés, et l’écoute attentive exercée par Fanny et Béatrice génère un « effet boule de neige », bien connu des ethnographes : les rencontres produisent
d’autres rencontres qui produisent d’autres rencontres, etc. Les paroles confiées sont au croisement de l’institution publique et de l’intimité la plus personnelle. Aussi, l’accueil se veut chaleureux mais le cadre posé est clair.
 

Autrement dit, le Centre des Récits crée une disponibilité d’écoute. Le théâtre ouvre enfin toutes ses oreilles à des histoires jusqu’alors jugées périphériques.

 

Quatre oreilles. De nouveaux chemins d’écoute.

Béatrice et Fanny soulignent l’importance de réaliser ces entretiens ensemble, à deux : elles ont quatre oreilles qui leur permettent d’explorer des angles différents. Béatrice explique que « l’avantage de réaliser des entretiens à deux c’est d’ouvrir de nouvelles portes ». Le fait de ne pas appartenir
à la même génération, ni d’avoir nécessairement des références communes, crée une complémentarité créatrice.

Car elles ne collectent pas seulement des données, elles déploient aussi un nouvel espace d’écoute et un autre rapport à notre connaissance du monde social. La collecte des récits de vie qu’elles mettent au service des projets artistiques qui leur sont confiés fournit en priorité une aide inédite et précieuse aux metteur·ses en scène.
Mais le Centre des Récits participe aussi à inventer une nouvelle manière de comprendre la société, à créer de nouveaux chemins d’écoute et d’intelligence qui se nourrissent certainement des façons de faire du journalisme ou des sciences sociales, sans pour autant s’y réduire.

Najate Zouggari, TnS — Mai 2025

L’équipe du Centre des Récits